Rapport de la Cour des Comptes : une prise en charge inadaptée et des effort insuffisants
A la demande du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée Nationale, la Cour des Comptes a effectué une enquête permettant d’évaluer la Politique en direction des personnes présentant des Troubles du Spectre de l’Autisme (TSA).
Les TSA, dont le taux de prévalence atteint 1% de la population, sont un véritable enjeu de santé publique et ont fait l’objet de plans successifs depuis 2005 afin de diffuser les connaissances mais surtout d’ajuster l’offre de soins et d’accompagnement.
L’évaluation de la politique de l’autisme conduit la Cour des Comptes à dresser un bilan des réalisations assez décevant au regard des objectifs généraux des trois plans successifs et des enjeux que représentent une population de 100 000 jeunes de moins de 20 ans et près de 600 000 adultes présentant des TSA. Non seulement les connaissances sont lacunaires et doivent être améliorées mais en plus, les mode de prises en charges des enfants comme des adultes sont encore insuffisants ou inadaptés. La Cour des Comptes conseille alors de mieux articuler les interventions des différents acteurs et de mieux mobiliser les outils déjà disponibles.
Des difficultés de diagnostic
La Cour des Comptes réaffirme la nécessité d'un diagnostic précoce et pertinent, de toutes les formes d’autisme, même les moins sévères. Le rapport souligne que, malgré des progrès indéniables, le repérage et les diagnostics précoces sont hétérogènes et affichent, en moyenne, des délais trop long. Or, le diagnostic précoce est la clé pour l’application des méthodes d’intervention précoces et recommandées par la Haute Autorité de Santé (HAS). Plusieurs points sont alors mis en avant afin de répondre à ces problématiques liées au diagnostic :
Le recours à des équipes pluridisciplinaires, sous la responsabilité de spécialistes, pour l’établissement des diagnostics est vivement recommandé pour assurer sa pertinence et permettre le diagnostic de toutes les formes et degrés d'autisme.
Afin de désengorger les Centres Ressource Autisme (CRA), qui ne peuvent pas faire face à la forte demande de diagnostic, la Cour des Comptes propose de réfléchir à un repérage et à un diagnostic de première ligne. A ce titre, elle affirme un besoin de formation continue des professionnels de santé (médecins généralistes, pédiatres…) afin de rendre le repérage plus automatique et plus précoce. En effet, le rapport souligne des délais d’attente trop long au regard de l’objectif d’un diagnostic précoce.
Ces retards sont à l’origine de multiples difficultés pour les familles : outre l’angoisse qu’ils génèrent, ils retardent les démarches pour la reconnaissance du handicap et reportent, parfois compromettent, la possibilité des prises en charge précoces, ou à défaut pertinente. La mise en place d’interventions précoces, présentée à juste titre comme la priorité principale car elle est susceptible de favoriser un parcours beaucoup plus inclusif, n’a été déployée de manière documentée que pour 15 % environ des enfants qui en ont besoin, tous modes d’accueil confondus.
De plus, le rapport met également en avant une carence dans les données. On ne connait ni l’âge moyen des diagnostics, ni l’âge du premier contact en vue d’un diagnostic. Or, ces données seraient essentielles pour mesurer l’évolution et ajuster les pratiques. Il est donc nécessaire de collecter des données afin de mieux connaitre les TSA.
L'importance d'une prise en charge adaptée
Si la définition de traitements pertinents est encore à affiner en France, un consensus s’est déjà dégagé en faveur d’interventions individualisées, aussi précoces que possible, relayées par les parents ou les proches « aidants familiaux », et donc axées au début sur la « guidance parentale ». L’intervention précoce auprès d’enfants âgées de moins de trois ans ne peut se concevoir sans la mise en place d’une guidance parentale, c'est-à-dire une formation spécifique permettant aux parents, non pas de devenir des « professionnels de l’autisme », mais de les accompagner vers une meilleure compréhension du fonctionnement de leur enfant, des techniques à mettre en place, de mobiliser, et de prévenir les handicaps additionnels. Diverses études ont souligné l’incidence repérable d’une telle guidance sur les progrès des enfants autistes.
De nombreuses études internationales et les recommandations de la HAS affirment que les modes d’accompagnement fondés sur des méthodes éducatives et comportementales permettent de réduire les manifestations des troubles et rendent souvent possible une inclusion durable dans la vie sociale et professionnelle. A l’inverse, en l’absence de soins pertinents, le risque de « sur-handicap » est élevé. Un accompagnement non adapté pourrait entrainer le début d'un cercle vicieux, qui mettrait la personne avec autisme, sa famille et son établissement d'accueil en échec, en plus d'induire des prises en charge de plus en plus lourdes, tant humainement que financièrement.
Le progrès des connaissances et des méthodes de prise en charge des personnes autistes peut donc, à certaines conditions, être une chance collective, celle d’améliorer les parcours de vie et réduire le niveau de dépendance de milliers de personnes, en atténuant à terme la sévérité du handicap. Cela suppose d’assurer en amont des repérages et des diagnostics précoces et pertinents et de mettre en œuvre en aval des interventions adaptées mais aussi d’être capable d’entretenir les apprentissages amorcés et, dès lors, de construire un parcours aussi cohérent que possible
Une scolarisation inclusive
La recherche d’une scolarisation plus inclusive correspond à un autre objectif prioritaire. De nombreuses études étrangères ont démontré les bénéfices de la scolarisation des élèves handicapés, notamment en recherchant les mérites comparés de l’inclusion en milieu ordinaire ou d’écoles spécialisées.
A ce titre, une étude neerlandaise menée auprès de 3 648 élèves a permis de constater que les élèves qui présentaient une déficience intellectuelle moyenne à sévère obtenaient de meilleurs résultats en mathématiques, lorsqu’ils évoluaient dans une classe hétérogène que lorsqu’ils fréquentaient une classe où ils étaient regroupés avec des élèves qui présentent les mêmes limitations intellectuelles qu’eux (Guldemond, 1994). Plusieurs recherches démontrent également que l’inclusion dans une classe ordinaire offre, pour l’ensemble des élèves, une ouverture plus grande à la diversité (Mastropieri et al., 1998), une acceptation de la différence qui génère un climat de solidarité entre tous les élèves (Specht, 1993 ; Salisbury et al., 1995).
Ainsi, les études concluent à une amélioration du niveau, non seulement pour les élèves handicapés mais aussi pour les autres élèves. Les bénéfices d'une inclusion scolaire ne se mesurent donc pas seulement par le niveau scolaire, mais également par une capacité accrue d’interaction sociale accrue.
Or, en France, si des efforts ont déjà été réalisés pour inclure les enfants avec TSA dans le système éducatifs, ils restent encore trop faibles.
Les indicateurs montrent que les difficultés propres aux enfants atteints de TSA se traduisent encore par une durée et une moindre effectivité de la scolarisation, par rapport aux autres handicaps. Pour l’ensemble des enfants et adolescents des établissements médico-sociaux et de santé, le taux de non-scolarisation, pour la période de la maternelle et de la scolarité obligatoire, atteint 13,8 %. En revanche, pour les enfants et adolescents avec TSA, ce taux est plus de deux fois supérieur. Il atteint en effet 34,3 % (soit 3 067 à ne pas être du tout scolarisés).
Ces taux paraissent encourageants, a priori, mais doivent largement être nuancés. La Cour des Comptes précise que, quel que soit leur âge, on relève pour les enfants et adolescents avec TSA une part prédominante de scolarisation d’une seule demi-journée par semaine. Or cette forme de scolarisation a été jugée par plusieurs rapports successifs comme insuffisante, notamment parce qu’elle limite les possibilités de retour en inclusion en milieu ordinaire.
Afin de favoriser une scolarisation inclusive la Cour des Comptes propose plusieurs axes :
Développer l’externalisation des unités d’enseignement sur des sites scolaires ordinaires ;
Développer et mutualiser les formations conjointes sur les TSA, destinées à l’ensemble des intervenants auprès des enfants
Mettre à disposition des établissements scolaires les outils spécialisés utiles pour les TSA.
L'insertion professionnelle
Concernant les adultes, les données sont très limitées, alors que les enjeux humains et financiers sont très lourds. La Cour des Comptes a donc essayé de comparer les pratiques en France avec celle des voisins. Cette comparaison fait apparaitre un accès faible au diagnostic et des actions visant à favoriser l’insertion sociale insuffisantes, voire inexistantes selon les régions.
Le rapport montre que l’insertion professionnelle n’est que peu soutenue par des actions spécifiques, alors que les études disponibles en soulignent le besoin, même pour les jeunes adultes avec TSA sans déficience intellectuelle. A ce titre, la Cour des comptes souligne la rareté des apprentissages professionnels dans les centre d'accueil des adolescents.
Les actions spécifiques visant à favoriser l'insertion professionnelles ont lieu à deux niveaux :
Favoriser l'apprentissage en amont, en mettant en place des actions visant à préparer les personnes autistes à une activité professionnelle.
Apporter un soutien spécifique, en aval, aux personnes avec TSA pour les aider à trouver un emploi.
De plus, il semble plus que nécessaire de communiquer autour de l'emploi des personnes avec TSA, sensibiliser les entreprises, manager comme l'ensemble du personnel. Cette sensibilisation permettra de faire comprendre les avantages de travailler avec une personne avec TSA, limiter les appréhensions et favoriser l'intégration de la personne avec TSA au sein de l'équipe.
Proposer des solutions adéquates et adaptées : la question de la desinstitutionnalisation
Les patients TSA représentent une part importante des hospitalisations dites inadéquates. Une récente étude de l’IRDES définit les hospitalisations inadéquates ainsi "Les patients ayant eu au moins 292 jours continus ou non d’hospitalisation à temps plein (y compris en centre de crise et de postcure) et présents en hospitalisation à temps plein l’année précédente, quel que soit l’établissement d’hospitalisation, à l’exclusion des patients hospitalisés en unités pour malades difficiles, des détenus, et des personnes jugées pénalement irresponsables"
A ce titre, le rapport met en lumière un chiffre absolument alarmant et affirme que "plus d’un tiers des enfants hospitalisés en psychiatrie actuellement le sont donc pour Trouble du Spectre de l'Autisme"
En plus de la catastrophe humaine que représente ce chiffre, c'est également une vraie perte financière. La Cour des Comptes démontre l'impact financier de ces hospitalisations inadéquates, qui ne respectent ni les recommandations de la HAS ni les Droits de l'Homme.
Si l’on valorise le potentiel qui peut être ainsi « réorienté » des structures psychiatriques vers des établissement et services sociaux et medico-sociaux. Le coût moyen annuel d’un hébergement en long cours peut être estimé en effet à 123 000 €, soit près de deux fois celui d’un accueil en maison d'accueil spécialisée (MAS) ou en foyer d'accueil médicalisé (FAM), et plus de quatre fois celui d’un accueil en foyer de vie.
La dépense globale pouvant être estimée à environ 300 M€ pour les TSA, le gain potentiel serait donc de l’ordre de 150 M€.
Enfin, le 19 janvier 2018, l'ONU a adressé à la France 300 recommandations, dont une dizaine sur la situation des personnes handicapées.
Les points retenus dans le rapport de la Cour des Comptes figurent dans ces recommandations qui appuient notamment sur l'absence de données concernant la situation du handicap en France et la "nécessaire désinstitutionnalisation et création d'alternatives au placement institutionnel"
Alors que ces vives critiques sont adressées à la France, le gouvernement est sur le point de publier un 4ème Plan Autisme.
Les mesures prévues seront-elles suffisantes pour permettre à la France de rattraper son retard considérable ? Seront-elles à même de proposer des alternatives à l'institutionnalisation, largement pointée du doigt ? Proposeront-elles des solutions pour créer une société plus inclusive ?